Jean-Luc Mélenchon et Arnaud Montebourg pour la séparation bancaire

« Je séparerai les banques d’affaires et de détail. »

Jean-Luc Mélenchon, première convention de la France insoumise, 16 octobre 2016

« La loi de Séparation bancaire a été manquée, il faudra la reprendre avec amplification. »

Arnaud Montebourg, Discours d’entrée officielle en campagne de la primaire de la gauche, 1er décembre 2016

La séparation des banques d’affaire et de détail constituait le 7e des 60 engagements électoraux de François Hollande en 2012. Elle est aujourd’hui réclamée par les candidats à la présidentielle 2017 Jean-Luc Mélenchon et Arnaud Montebourg. Du premier, elle est l’une des dix mesures emblématiques de son programme l’Avenir en commun. Du second, l’une de ses huit propositions économiques de son « Projet France ».

En 2013, la loi bancaire est votée, mais n’aboutit à aucune séparation réelle. En juin 2015, les rapporteurs de la loi dressent un bilan pour le moins mitigé. Sur dix banques concernées, seules BNP Paribas et Société Générale s’engagent à rassembler leurs activités les plus risquées dans des filiales disjointes. Le PDG de la Société Générale avoue que moins de 1 % de ses activités seraient filialisées. Pour cause, le niveau d’activité spéculative à partir duquel un cloisonnement devient obligatoire n’a pas été fixé par décret.

L’idée de scinder la pratique commerciale (collecte de dépôts et octroi de crédits) de celle de marché n’est pas nouvelle. En réponse au krach de 1929, les États-Unis votent une séparation stricte en 1933, avec le Glass-Steagall Act. Cette séparation perdure soixante-six ans. En 1999, elle est abrogée pour promouvoir la concurrence et permettre des fusions censées répondre à la course à la taille menée par les banques européennes et japonaises. En France, d’importantes décisions de dérégulation bancaire ont été prises, dès 1966 avec la loi Debré et 1984 avec la loi Bérégovoy, et sont à l’origine de notre modèle français de banque universelle qui regroupe au sein d’un même établissement les activités commerciales et de marché.

Que la loi de Séparation entre banques de dépôt et d’investissement n’en porte que le nom, comme en France, ou revêt la forme d’une application stricte, comme avec la réforme Vickers en Angleterre (d’un coût estimé entre 4 et 7 milliards d’euro, et que les établissements doivent mettre en œuvre avant 2019), les arguments en faveur du cloisonnement peuvent être résumés en deux points essentiels.

Premièrement, l’épargne des ménages doit être au service des PME et de l’économie réelle. Il faut empêcher les banques de spéculer avec le dépôt de leurs clients, tout en s’appuyant sur la garantie de l’État en cas de naufrage.

Deuxièmement, en cas de nouvelle crise majeure, les conséquences seraient catastrophiques si les établissements de dépôt et de marché restaient liés. L’État serait appelé à la rescousse pour sauver notre économie avec de l’argent public. Au contraire, la faillite de banques d’investissements isolées n’aurait qu’un impact très limité sur la conjoncture. Les éléments du système bancaire indispensables à la vie des familles, des entreprises et de toute l’économie continueront à fonctionner sans que le contribuable soit sollicité. La séparation libèrerait l’État de sa contrainte de garantie de sauvetage. Les banques de marchés deviendraient plus prudentes, car en cas de pertes, leurs actionnaires paieraient l’addition.

Ces arguments semblent relever du sens commun et ne manquent pas de convaincre la majeure partie de l’opinion publique. Pourtant, si on les confronte aux faits, on se rend compte que la séparation bancaire est une fausse bonne idée.

Premièrement, contrairement à ce que pense l’opinion publique, l’épargne des ménages est d’ores et déjà mise au service des PME et de l’économie réelle. Les banques françaises prêtent l’équivalent (voire un peu plus) des dépôts qu’elles collectent. Il est inexact de prétendre que les dépôts sont détournés pour des activités boursière pour compte propre. Celles-ci sont financées par des fonds récoltés sur les marchés.

Ensuite, il convient de s’arrêter un instant sur des considérations d’ordre sémantique. De nombreux commentateurs réservent le terme d’activité « spéculative » aux opérations de marchés. Si bien que dans l’esprit du grand public, l’activité des banques traditionnelles ne serait pas soumise aux aléas. Cette représentation ne correspond pas à la réalité.

Si par « spéculation » on entend une prise de risque en fonction d’une anticipation du futur, alors il convient de faire également usage de ce terme pour l’activité de crédit. Une banque de détail qui octroie des crédits sans trop se soucier de leurs qualités s’expose à davantage de risque qu’une banque d’investissement qui échange des produits dérivés sur la parité de devises euro/dollar en période d’accalmie sur le marché des changes.

Les exemples ne manquent pas. La crise économique espagnole, qui a perduré jusqu’en 2013, a été le fruit d’une bulle immobilière nourri par de petites caisses d’épargne finançant à tour de bras le crédit des ménages. La crise bancaire italienne actuelle résulte des créances douteuses de banques régionales, dont pour certaines l’activité de crédit ne dépasse pas le tissu économique local d’une ville moyenne.

Un risque inconsidéré qui relève uniquement du crédit est également encouru par un groupe bancaire qui soutient la dette d’un pays s’apprêtant à élire un parti politique projetant de faire défaut sur sa dette nationale. La banque, qu’elle soit de détail (banque commerciale) ou de marché (banque d’investissement), a pour métier la gestion du risque. Il est faux de s’imaginer que le crédit est une activité non spéculative et que la spéculation est le propre des opérations de marchés. En bref, le prêt n’est pas moins hasardeux que la bourse.

Cette observation nous conduit directement au second argument qui, lui aussi, souffre d’un déficit de pertinence. La faillite de banques séparées n’empêche nullement une déconfiture économique. Lors de la crise des subprimes, les deux firmes à l’origine des chocs systémiques aux États-Unis et au Royaume-Uni étaient respectivement une banque d’investissement (Lehman Brothers) et une banque de détail (Northern Rock). Les banques universelles ont d’ailleurs mieux résisté que les autres grâce à la diversification de leurs actifs. L’analyse de la crise des subprimes faite dans la collection : La finance au cœur de nos vies, illustre au contraire combien un cloisonnement des corps de métier peut s’avérer dangereux.

Quand on regarde l’ensemble des mésaventures rencontrées dans la crise de la zone euro, entre 2009 et 2013, aucune n’a été le fruit des opérations de marché. Toutes ont été la conséquence de crédits spéculatifs pratiqués par des banques commerciales, des caisses d’épargne et de petites banques, qu’elles aient été irlandaises, grecques, chypriotes, slovènes, portugaises, espagnoles ou italiennes.

Enfin, il est également erroné de se représenter l’actionnaire comme un acteur qui ne paierait pas l’addition lorsque l’État volerait à la rescousse du système. Lors d’une crise bancaire, l’actionnaire est le premier à mettre la main à la poche. C’est lui qui a par exemple versé à l’État, les intérêts de la dette relative au plan de sauvetage à l’égard de la Société Générale. L’investisseur ayant acheté des actions de cette banque il y a dix ans, a aujourd’hui perdu plus de la moitié de son patrimoine. Cela même en tenant compte des dividendes perçus[1]. Il aurait été plus rentable pour ces actionnaires de miser sur l’immobilier, comme illustré ici.

En conclusion, il est illusoire de penser que la séparation des activités bancaires est capable de répondre à la mauvaise gestion du risque de certains établissements. Au contraire, le danger d’une telle initiative est qu’elle conforte les instances publiques dans un relâchement de l’encadrement du secteur financier.

Seule une surveillance de près, exercée au jour le jour par les autorités prudentielles, peut réellement concourir à une meilleure gestion du risque. Pour cela, il faut continuer de déplacer l’équilibre des forces entre le régulateur et les banques, comme c’est le cas depuis la crise des subprimes. Depuis, le niveau des fonds propres (c’est-à-dire l’apport des actionnaires) exigés a été qualitativement grandement renforcé. Dans un tel contexte, il est important de diversifier les sources de financement pour éviter les blocages qui pourraient apparaître dans les capacités du système bancaire à orienter les fonds vers là où ils sont le plus utiles. La séparation bancaire, en privant les banques d’investissement de la garantie implicite de l’État, renchérirait le prix de l’accès à la liquidité sur les marchés et donc apprécierait mécaniquement le coût du crédit aux entreprises, ce qui contrarierait la croissance économique.


[1] L’action Société Générale cote 47 € au 2 janvier 2017 et cotait 124 € au 2 janvier 2007. Le somme des dividendes versés durant cette décennie s’élève à 21,66 €.

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