Marine Le Pen et les taux d’intérêt

 « La Banque centrale européenne a prêté aux banques 1 000 milliards d’euros à un taux d’intérêt de 1 %, et les banques prêtent aux États à 3, 4, ou 5 %. Vous ne voyez pas là que c’est une escroquerie massive ? »

Marine Le Pen, émission télévisuelle Des Paroles et des actes, 11 avril 2012

La vision de Marine Le Pen a également été formulée par Jean-Luc Mélenchon, le lendemain, sur le même plateau. Exposée ainsi, on ne peut qu’adhérer à cette critique. La Banque centrale européenne (BCE) est une institution publique. Elle prête à des banques privées à des taux beaucoup plus faibles que ceux auxquels ces établissements prêtent à l’État, et donc au contribuable. N’y a-t-il pas de quoi se fâcher ?

Non, pas vraiment. Les chiffres sont corrects, mais la formulation incomplète.

Comme expliqué dans la collection : La finance au cœur de nos vies, le taux d’intérêt recouvre une prime de risque de non-remboursement et compense par ailleurs le créditeur pour le dessaisir de son argent pendant la durée du prêt. Cette prime de risque et cette compensation augmentent bien évidemment avec la durée du crédit. Plus l’emprunt est long, et plus le risque de défaut et le coût de privation sont élevés. Vous-même, vous ne poseriez pas les mêmes conditions de prêt à un ami, selon que le remboursement est prévu pour la semaine prochaine ou dans 10 ans. C’est par le manque de précision sur cette variable temporelle que les propos mis en exergue induisent le téléspectateur en erreur.

Car la BCE prête aux banques commerciales à très court terme. Au début de la crise financière de 2007, les crédits aussi longs que trois mois semblaient déjà une révolution. Fin 2011 et début 2012, la BCE était soucieuse de soutenir le marché des obligations d’État des pays périphériques. Il s’agissait donc d’inciter les banques commerciales à épauler la dette des gouvernements formant l’Union. À titre exceptionnel, elle a mis en place des créances d’une durée de trois ans (appelées LTRO pour « Long term refinancing operations »). De leur côté, les banques commerciales ont prêté comme d’habitude aux États sur des périodes beaucoup plus longues. Les obligations de l’État français (nommées OAT pour « obligations assimilables du Trésor ») sont toutes émises pour une période minimale de 5 ans. À l’époque où la présidente du Front national énonce ces chiffres, il existe effectivement des taux d’emprunt de l’État français qui s’élève entre 3 et 4 %, mais il s’agit d’emprunts d’une durée de 30 à 50 ans[1]. Il est intellectuellement malhonnête d’y voir une escroquerie.

En complément, nous pourrions ajouter qu’une information que la présidente du Front national, qui milite activement pour mettre un terme à la mobilité internationale du capital, se garde bien de communiquer ce jour-là est que la dette française est financée pour plus de moitiés par des non-résidents[2].


[1] Voir le Bulletin mensuel de l’Agence France Trésor, n° 265, de juin 2012 pour les chiffres du premier trimestre 2012.

[2] idem